La Iris Tower 

La Iris Tower

un repère visuel au firmament du panorama urbain bruxellois

Le chantier de la Iris Tower, près de la gare du Nord de Bruxelles, est assez exceptionnel si l’on s’en réfère aux standards belges. La tour compte 33 étages en surface, mesure 136 mètres de haut et épouse la forme d’une ellipse. Le chantier occupe une petite parcelle de terrain, coincée entre plusieurs axes de circulation très fréquentés et la voie de chemin de fer. Comment faire, dès lors, pour réaliser une telle gageure ? En fait, le défi a pu être relevé grâce à une excellente préparation, à un certain nombre de solutions ingénieuses et à une bonne coopération avec l’entrepreneur général. Trois ténors du préfabriqué ont décortiqué pour nous le cœur du processus. Fort de 32 années d’expérience en ingénierie, Amer Bitar est le directeur général d’Ergon depuis 2013 et connaît tout du béton préfabriqué. Guy Lambrechts est ingénieur de projet chez Ergon tandis que Pieter van der Zee occupe la fonction de directeur technique chez CRH Structural Concrete Belgium. 

D’emblée, Pieter met les points sur les i : « Un bâtiment de 100 mètres de haut n’est pas nécessairement une tour. Tout est question de rapport entre la surface au sol et la hauteur. Vous pouvez construire un immeuble de 100 mètres de hauteur, s’il mesure également 100 mètres de large et tout autant de profondeur, ce n’est pas une tour ! »   

Mais dans le cas présent, c’en est bel et bien une, et qui n’a rien d’ordinaire ! La forme, la hauteur, le site… tout est spécial. A-t-elle également nécessité une approche particulière ?
Guy Lambrechts : « La hauteur proprement dite n’est pas le plus grand défi. Selon les normes belges, il s’agit en effet d’un bâtiment de grande hauteur. Mais que vous construisiez dix niveaux, vingt ou trente, le dimensionnement et l’armature des colonnes seront ajustés en proportion. Finalement, vous faites le même calcul pour chaque hauteur et la problématique de base reste identique. Par contre, ce terrain exigu dans une zone de trafic dense est une autre paire de manches. Un escalier a été installé au-dessus des zones de chargement et de déchargement des camions pour orienter le personnel vers le chantier. Tout a été planifié de manière très rigoureuse. La construction des étages inférieurs a pris six jours par niveau, mais les étages supérieurs ont pu être réalisés en 4,5 à 5 jours. Lorsque vous élaborez les éléments préfabriqués, vous pensez également déjà à l’efficacité du montage. Cette construction comprend 21 colonnes par niveau. Nous avons produit des colonnes qui s’élèvent sur deux niveaux. Quand vous placez ces doubles colonnes, vous prenez déjà de l’avance pour l’étage suivant où il vous suffit de monter des poutres pour terminer ce niveau. Pour deux colonnes principales, nous ne pouvions pas utiliser cette technique car cela aurait eu un impact trop important sur leur dimensionnement. Elles auraient été trop lourdes, ce qui aurait annulé l’efficacité d’un placement plus rapide. » 

« La construction des étages inférieurs a pris six jours par niveau mais les étages supérieurs ont pu être réalisés en 4,5 à 5 jours. » 

Guy Lambrechts

Ingénieur de projet , Ergon sa

À une telle hauteur, la surcharge induite par le vent ne pose-t-elle pas problème ?
Pieter van der Zee : « Dans ce projet, la surcharge du vent exerce effectivement un impact sur la façade et sur le noyau, mais pas sur les éléments préfabriqués. Il n’y a que lors du montage qu’ils peuvent être exposés à énormément de vent. Les boucles doivent être très stables et positionnées très précisément vis-à-vis du centre de gravité. »  

Guy Lambrechts : « Pour absorber la surcharge du vent, le bureau d’études Greisch a conçu des bracons qui relient le noyau à la façade aux dix-septième et dix-huitième étages. Ces bracons augmentent l’effet de levier des étages inférieurs ; ils intègrent en outre des vérins mobiles qui absorbent la surcharge du vent. Ils sont fixés au noyau d’une part et aux colonnes de la façade d’autre part, ce qui signifie que nos colonnes ont dû absorber des pressions et des efforts de traction supplémentaires et ont donc eu besoin d’une armature supplémentaire. Grâce à cette intervention, nous avons pu éviter que le noyau des étages inférieurs soit encore plus massif. »  

La forme ronde risquait de provoquer une espèce de torsion, mais vous disposiez d’une solution spécifique pour y remédier ?
Pieter van der Zee : « En principe, il faudrait des poutres courbes, mais étant donné que la précontrainte s’exerce toujours en ligne droite, une poutre courbe n’a pas beaucoup de sens. Nous avons imaginé une forme spéciale en Z pour manipuler le centre de gravité de la précontrainte et éviter que les poutres se déforment. » 

La forme elliptique de la tour constituait-elle un défi supplémentaire ? 
Pieter van der Zee : « Nous avons, il y a quelques années déjà, construit de véritables immeubles elliptiques comme l’Ellipse Building ou la Covent Garden Tower, également dans le quartier Nord de Bruxelles, avec des éléments livrés par Ergon. Ce bâtiment-ci n’est pas une ellipse mais est constitué de deux arcs de cercle placés l’un contre l’autre, ce qui est en soi moins complexe. » 

« Nous avons imaginé une forme spéciale en Z pour manipuler le centre de gravité de la précontrainte et éviter aux poutres de se déformer. » 

Pieter van der Zee

Directeur Technique, CRH Structural Concrete Belgium

« Nous possédons la technologie pour fabriquer des structures occupant le moins d’espace possible tout en offrant la stabilité requise par les bureaux d’études. » 

Ir. Amer Bitar

Directeur Général, Ergon sa

Guy Lambrechts : « La forme d’un projet a un très grand impact sur la production des éléments. Les poutres de façade à l’extérieur suivent toutes la forme arrondie. De tels éléments nécessitent plus de travail d’étude et sont complexes en termes de coffrage. Dans le cas d’une ellipse, le rayon change continuellement et la courbure des éléments varie encore plus. Ici, nous avons pu travailler avec le même rayon pour l’ensemble de l’immeuble et donc utiliser les mêmes coffrages pour toutes les colonnes et les poutres, moyennant une adaptation de la longueur. Cela a également un impact sur les hourdis. Comme le bâtiment est arrondi, nous avons dû trouver une solution pour que les éléments de plancher épousent finalement sa forme. Il faut soit poser chaque hourdis suivant un rayon différent, soit les poser en ligne droite de sorte qu’à la fin, un coin reste découvert. Cette pièce dite en forme de tarte devait initialement être coulée sur place. Nous avons imaginé une solution préfabriquée. » 
 
Amer Bitar : « Une solution ingénieuse, d’ailleurs. Comme le bâtiment est formé par deux arcs de cercle et que chaque étage est composé d’exactement onze quarts de tarte, nous avons conçu une prédalle trapézoïdale qu’il aurait normalement fallu armer de beaucoup de barres en acier de gros diamètre, mais nous avons imaginé une solution plus efficace. » 
 
Guy Lambrechts : « Une solution basée sur un élément présentant la structure d’une prédalle, relié aux dalles alvéolées des deux côtés par une armature. Celui-ci nous a permis d’économiser beaucoup de travail de coffrage et d’étançonnement. Nous sommes constamment à la recherche de telles variantes. Dès la phase d’offre, nous pensons déjà à optimiser l’ensemble du bâtiment et à rendre le chantier plus facile et meilleur marché. Même lors de la réunion de chantier hebdomadaire, il y a toujours des questions qui se présentent auxquelles nous devons trouver des solutions plus optimales. Pour les éléments coulés sur place, nous examinons si des solutions préfabriquées ne peuvent pas augmenter la vitesse d’exécution. Ces solutions permettent de produire en usine quelles que soient les conditions météorologiques et donc d’accumuler de l’avance. En fin de compte, on peut travailler encore plus vite. » 

Amer Bitar: « C’est aussi cela, Ergon : apporter des solutions auxquelles les autres ne pensent pas. Dans tous ses projets, Ergon mise sur un partenariat avec l’ensemble des acteurs, mais plus spécifiquement avec l’entrepreneur. »  

De quelle manière cette « réflexion conjointe » initiée lors de la réalisation de la Iris Tower a-t-elle fait visiblement la différence ? D’un point de vue économique, écologique, formel… 

Amer Bitar : « Mes collègues viennent d’exposer plusieurs améliorations apportées, mais j’aimerais encore en citer d’autres exemples. Lors du montage, il s’est avéré que les liaisons des colonnes en V de l’entrée, initialement conçues de façon différente par le bureau d’études, n’étaient pratiquement pas réalisables. Nous avons donc recherché une solution plus simple : chaque colonne s’est vue doter d’un socle et d’une tête différents. Nous nous sommes concertés avec nos collègues chez
E-ton qui ont ensuite réalisé des gabarits individuels découpés au laser, extrêmement précis, en polystyrène expansé (EPS); ces gabarits ont été disposés comme négatif dans le coffrage, chaque fois à un emplacement différent, ce qui nous a permis d’obtenir des éléments préfabriqués parfaitement dimensionnés. À son arrivée sur le chantier, chaque colonne disposait donc de sa tête et de son socle appropriés de sorte que la pose a pu se faire correctement du premier coup. »

Guy Lambrechts : « La forme arrondie de l’immeuble proprement dit a également constitué un défi supplémentaire pour ces colonnes. La tête et les pieds des colonnes conjointes ne se trouvent pas dans un même plan en raison de cette forme ronde. Dans ce genre de situation, il est utile de pouvoir visualiser en 3D avec un programme comme Tekla. »

Amer Bitar : « Cela va encore plus loin. Au rez-de-chaussée, toutes les colonnes prévues étaient ovales. Nous avons proposé de les remplacer par de simples colonnes rondes en se basant sur une meilleure résistance du béton, plus faciles à coffrer et occupant moins d’espace, pour le plus grand bonheur des architectes. De surcroît, cette solution performante est moins onéreuse. Je pense aussi aux poutres fines qui non seulement se révèlent plus élégantes et offrent plus de place à la structure, mais en outre ont nécessité moins de matières premières. Moins de ciment, moins d’acier, moins d’agrégats,… : tout profit pour l’écologie, donc. Parallèlement, nos éléments préfabriqués sont aussi résistants, voire même davantage qu’avec le système de préfabrication traditionnel. Enfin, les colonnes en Y à bras coniques, parfaitement préfabriquées, constituent une autre belle réussite dont nous sommes fiers. »

Guy Lambrechts : « L’élément en Y permet à la façade de s’enfoncer sur autant d’étages afin d’obtenir une forme de spirale à partir du 25ème étage. Le ‘bras’ qui s’étend vers la façade avait à l’origine un diamètre de 250 mm et était relié à la section de base avec un diamètre de 500 mm. En concertation, nous avons décidé de lui donner une forme conique. De ce fait, la transition entre l’axe principal et l’axe latéral a été rendue plus esthétique. »

Il faut être bien introduit en cour pour décrocher ce genre de marché… 
Amer Bitar : « Il va de soi que ce projet d’envergure n’est pas arrivé par hasard sur nos tables à dessin. Ergon est un acteur qui compte. Nous maîtrisons la technologie du béton sur le bout des doigts. Nous nous sommes ainsi spécialisés dans l’utilisation du Béton à Ultra Hautes Performance (BHUP) jusqu’à C120/C150 et notre savoir-faire constitue une valeur ajoutée de premier ordre pour les bureaux d’études et nos clients. Nous possédons la technologie pour fabriquer des structures occupant le moins d’espace possible tout en offrant la stabilité requise.

Dès l’instant où ce projet est arrivé sur le marché, nous nous sommes montrés très intéressés. Avec notre expertise en matière de technicité et de planning, nous sommes idéalement placés pour relever ce genre de défi. Ces deux aspects revêtent une importance essentielle pour la réussite d’un tel projet. Et ce ne sont pas de vains mots : nous avons tenu parole et fait la preuve de notre compétence en parvenant à monter un étage par semaine, voire ponctuellement davantage. Il n’y avait qu’Ergon pour assurer un tel exploit. »

Fiche technique

Maître d’ouvrage : Ghelamco Group nv
Architectes : A.M. Atelier d’Architecture de Genval sa – Pierre Accarain – Marc Bouillot sa
Bureau de Contrôle : Seco Belgium
Bureau d’études : Greisch Ingénierie sa
Entrepreneur : CIT Blaton sa
Éléments en béton préfabriqué : Ergon sa
Développeur de projet :  Ghelamco Group
Hauteur : 136 m

Pour ce projet, Egon a livré  :

  • 468 Colonnes
  • 15 Colonnes Y
  • 807 Poutres
  • 25 200 m² de hourdis précontraints
  • 31 Prédalles
  • 26 Éléments AX

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